Marc-Antoine Charpentier et sa Messe de minuit Par Isabelle Picard
/ 29 novembre 2004
Si la
renommée de Charpentier (1643?-1704) n'était pas de son vivant à la hauteur de
son talent (entre autres à cause de la domination de Lully), il est aujourd'hui
reconnu comme un des plus grands compositeurs français de l'époque. Il est en tout cas un des plus originaux,
entre autres par sa fusion des styles français et italien, et par la grande
variété de ses oeuvres. C'est le Te Deum en ré majeur H.146 qui a
d'abord contribué à faire sortir Charpentier de l'ombre au 20e
siècle. Sa Messe de minuit à 4 voix, flûtes et violons pour Noël
H.9 suit de près le Te Deum en popularité et fait désormais
partie, à ses côtés, du grand répertoire.
La musique liée à la Nativité occupe une place
importante dans l'œuvre de Charpentier. Il est probablement le compositeur
français de son temps à offrir la plus grande variété d'œuvres pour le temps de
Noël : noëls instrumentaux, pastorales en français, messe et histoires sacrées
en latin (oratorios). La Messe de minuit, sans doute composée en
1694 (la date est incertaine -- voir la chronologie des œuvres établie par C.
Cessac, dans le livre et le site Internet cités plus bas) alors que Charpentier
était maître de musique à l'église Saint-Louis des Jésuites, tire son
originalité de sa conception même. Le compositeur opte en effet pour une
pratique du passé, plus tellement en usage au xviie siècle, celle de
la messe parodie, qui consiste à adapter une œuvre musicale existante aux textes
de l'ordinaire de la messe catholique. Il construit ainsi sa messe sur divers
airs populaires de Noël, dont il conserve toute la fraîcheur et la simplicité
musicale (10 au total, plus un air purement musical à l'Offertoire). Par
exemple, le Kyrie sera chanté sur les airs de « Joseph est bien marié », « Or
nous dites Marie » et « Une jeune pucelle ». Voilà donc un mariage parfait entre
le sacré et le profane , tout à fait approprié en ce temps de
réjouissances.
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La Messe de minuit
pour Noël sur disque
Il existe plusieurs enregistrements (une
quinzaine d'intégrales) de la Messe de minuit de
Charpentier, le premier ayant été réalisé en 1953 par l'Ensemble vocal de
Paris et l'Orchestre de chambre de Paris, sous la direction d'André Jouve.
Les trois plus récents enregistrements de cette œuvre sont ceux de : Les
Musiciens du Louvre, dirigés par Marc Minkowski (1997, Archiv 453 479-2) ;
Les Arts Florissants, dirigés par William Christie (2001, Erato
8573-85820-2) ; Aradia Ensemble, dirigé par Kevin Mallon (2003, Naxos
8.557229).
Trois ensembles spécialisés dans la musique
ancienne, trois ensembles utilisant des instruments d'époque, trois
ensembles de qualité, de Paris, Grenoble et Toronto respectivement. Si à
la base on devine une intention similaire dans les trois cas (sans doute
un désir d'authenticité, et la volonté de donner vie à une musique du
17e siècle en respectant l'esprit d'époque), certains choix
d'interprétation diffèrent. Par exemple, Marc Minkowski insère dans le
Kyrie des adaptations pour orgue des airs populaires,
réalisées par André Raison et Nicolas-Antoine Lebègue (des contemporains
de Charpentier). William Christie fait quant à lui le choix d'utiliser des
adaptations instrumentales réalisées par Charpentier lui-même (extraites
de ses Noëls sur les instruments H.534). Ces deux choix
laissent un sentiment de cohérence et s'intègrent bien dans la continuité
de la Messe. Le choix de Mallon est plus difficile à
défendre : Il insère ses propres arrangements des noëls traditionnels, non
en version instrumentale, mais chantés. Cela fait que la messe ne débute
pas avec « Kyrie eleison », mais avec les mots « Joseph est bien marié / à
la fille de Jessé », et qu'avant le « Christe eleison », on entend « Et sy
je la revoy / je lui diré : voisine / je vous aim loyaulment / mais vous
m'estes trop fine. » ! Le résultat est étrange, d'autant plus que les
arrangements de Mallon sont en rupture avec le style musical de la
Messe (il utilise un accompagnement tenu en bourdon, une
voix soliste ou le chœur à l'unisson, et parfois une flûte ou un violon
solo en contrepoint). Notons quand même que la version d'Une jeune
pucelle utilisée par Mallon présente un certain intérêt : elle
aurait été enseignée aux Hurons de la Nouvelle-France – dans leur langue –
par le missionnaire jésuite Jean de Brébeuf.
Entre Les Arts Florissants et Les Musiciens
du Louvre, quelle version choisir ? Le disque des Musiciens du Louvre
présente également le Te Deum (H.146) de Charpentier, alors
si vous avez déjà une version satisfaisante de cette œuvre, vous devriez
peut-être opter pour l'enregistrement des Arts Florissants et découvrir du
même coup l'oratorio In Nativitatem Domini Canticum (H.416),
narrant la naissance de Jésus. Par contre, si le Te Deum ne
fait pas partie de votre discographie, Les Musiciens du Louvre proposent
une belle version de ce qui est aujourd'hui l'œuvre la plus célèbre de
Charpentier. |
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Pour en apprendre
davantage
Le nom de Catherine Cessac est à retenir
lorsqu'il est question de Charpentier. Directrice de recherche au CNRS
(Centre de Musique Baroque de Versailles), elle a publié en 1988 la
première monographie d'importance consacrée à Charpentier, ce qui lui
avait valu le Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Ce livre fait cette
année l'objet d'une nouvelle édition, revue et augmentée à la lumière des
dernières recherches (Marc-Antoine Charpentier, Paris,
Fayard, 2004, 627 p.). Un ouvrage absolument incontournable pour quiconque
s'intéresse au compositeu, il nous offre un portrait de l'homme et du
contexte dans lequel il a évolué, et permet un important approfondissement
de la connaissance de l'œuvre de Charpentier. Ce livre est au surplus une
véritable mine d'or pour le chercheur : tableau chronologique des œuvres
très détaillé, imposante bibliographie et en annexe, l'intégralité des
écrits théoriques de Charpentier. L'ouvrage ne s'adresse toutefois pas
uniquement aux spécialistes. Le style est limpide et l'auteur n'abuse pas
du vocabulaire spécialisé. L'index des noms et celui des œuvres permettent
une recherche aisée. |
Sur Internet :
Catherine
Cessac, http://www.charpentier.culture.fr
Patricia M. Ranum, http://ranumspanat.com
En concert Quelques occasions d'entendre des œuvres
de
Charpentier en concert prochainement : 1er déc. 19 h, 2, 3, 4 déc. 20 h et 5
déc. 15 h 30,
Trinity
St. Paul's United Church, Toronto
In Nativitatem Domini Canticum
H.416,
Missa « Assumpta est Maria »
H.11
Tafelmusik
Baroque Orchestra, Ivars Taurins, dir.
416-964-6337 18 déc. 20 h, Église de la Présentation de la
Sainte-Vierge, Dorval
19 déc. 16 h, Église du Gesù, Montréal
Te Deum en ré majeur
H.146
(également, des grands motets de Rameau, Campra et
Delalande)
Ensemble
Telemann, Rafik Matta, dir. 514-790-1245
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